| Affaire "Le renard des grêves" Alors que nous sommes chacun chez nous en train de préparer les fêtes de fin d'année, Mary Lester risque bien de ne jamais voir l'année 2004. En effet, son auteur, Jean Failler, est actuellement en cours de procès contre une personne qu'on nommera Mme X, à propos de la dernière enquête de Mary Lester : "Le renard des grêves".
Pour soutenir Jean Failler dans ses démarches, une pétition avait été créée et connaissait un franc succès dès les
premiers jours d'apparition, mais pour des raisons que je préfère taire, elle a
été supprimée. Si vous souhaitez en savoir plus sur ces raisons, contactez le
webmaster du site Mauvais Genres...
Pour bien comprendre pourquoi on en est arrivé là, il est important de faire d'abord la chronologie des faits. Vous pourrez aussi lire l'article de l'Agence France Presse pour en savoir plus sur l'affaire. L'avis de Jean Failler sur cette histoire est sur le site officiel, depuis la page d'accueil.
Une interview exclusive de l'auteur est disponible, dans laquelle il nous parlera de la série, et également de cette affaire.
Chronologie des faits
24/11/2003 :
Mise en vente du roman de Jean Failler « Le Renard des Grèves » (éd. du Palémon), 22e et 23e
numéro de sa série « Les Enquêtes de Mary Lester ». Le livre constitué en effet
de deux épisodes, est vendu les deux tomes séparés (7,50€ chacun ) ou les deux
tomes regroupés avec un troisième livre gratuit « Les Fautes de Lammé-Bouret »
(15€). Pour « Le Renard des Grèves », l’écrivain s’est inspiré d’un fait
divers : des actes de vandalisme commis par un malfaiteur non identifié qui
sévit depuis 20 ans dans la commune de Kerlouan (Nord-Finistère).
28/11/2003 :
Mme X assigne en référé les éditions du Palémon pour atteinte à la vie privée, se reconnaissant dans un
personnage auquel l’écrivain a prêté un passé de prostituée. Elle demande à ce que l’éditeur soit condamné à retirer des lieux de vente tous les
ouvrages déjà édités sous astreinte de 100 euros par exemplaire vendus passé un délai de 24 heures à compter du jugement et à verser 1500 euros.
Jean Failler n'a pas beaucoup de temps pour préparer sa défense : convoqué par
huissier un vendredi soir, il était sommé de se présenter au TGI de Brest le
lundi matin à 9 h 30...
On peut donc se demander si ces trop courts délais ont suffi aux juges pour lire
les deux ouvrages incriminés : la condamnation n'a t'elle pas été faite sur des
fragments de dialogues sortis de leur contexte, présentés comme injurieux par la
partie adverse ?
Mardi 02/12/2003 :
Le Tribunal de Grande Instance de Brest examine en référé (procédure d’urgence) l’affaire.
Vendredi 05/12/2003 :
Le TGI de Brest rend son jugement. Les livres de Jean Failler ne seront pas
retirés de la vente mais Jean Failler doit insérer dans chaque livre
l’intégralité du jugement, dans un délai de 5 jours sous peine d’une astreinte
de 100 euros par livre vendu. Jean Failler exécute le jugement.
Mme X, jugeant que la condamnation n'est pas
assez importante, fait appel.
Vendredi 12/12/2003 :
La cour d’Appel de Rennes ordonne à l’éditeur de Jean Failler de supprimer de l’ouvrage les
passages jugés attentatoires à la vie privée de Mme X. L’éditeur dispose de 5 jours pour exécuter cet arrêt sous peine d’une astreinte de
100 euros par livre vendu. Jean Failler, à l’annonce de l’arrêt, prend le choix d’arrêter la
série mais décide de se pourvoir en cassation. L'article Agence France Presse
BREST (AFP) - L'écrivain
Jean Failler, auteur de 'Mary Lester', reine du polar breton dit 'de proximité',
a annoncé samedi, au lendemain de sa condamnation pour atteinte à la vie privée
d'une plaignante, qu'il arrêterait la série policière si la décision était
confirmée en appel.
"Si chaque fois que quelqu'un se reconnaît dans un
bouquin, l'auteur est condamné, on ne pourra plus rien écrire', s'est indigné M.
Failler auprès de l'AFP, soulignant qu'il ne pourrait plus 'travailler sous une
menace perpétuelle de cet ordre.
"Les Mary Lester, c'était une belle aventure. Faudra peut
être que cette aventure s'arrête, a-t-il ajouté".
L'écrivain vend quelque 100.000 exemplaires par an des 24
enquêtes de la quimpéroise Mary Lester publiées à ce jour.
Vendredi, le tribunal de grande instance de Brest a ordonné à
l'éditeur du 'Renard des Grèves' d'insérer dans chaque ouvrage la copie
intégrale du jugement concluant à une atteinte à la vie privée d'Elisabeth X,
présentée dans le livre comme une ex-prostituée.
"Cette femme, que je ne connais pas, se reconnaît dans un
personnage traité sous un jour très favorable", plaide l'auteur, qui conteste le
jugement. "Ou je suis coupable et on m'interdit ou je ne suis pas coupable et on
me laisse tranquille", résume-t-il.
Le 'Renard des grèves', roman en deux tomes, s'inspire de
faits réels se déroulant depuis une vingtaine d'années dans la commune de
Kerlouan (Finistère). De nombreux actes de vandalisme s'y produisent. Les
auteurs n'ont pas été identifiés mais les faits sont attribués par les habitants
à un individu surnommé 'le Renard'.
Les pseudonymes utilisés par l'auteur pour désigner les
protagonistes de l'affaire "n'empêchent pas d'identifier aisément son mari, M.
Joseph X (rebaptisé Fanch Brendaouez) ainsi qu'elle même (la plaignante)
sous le pseudonyme de Gabrielle Brendaouez", selon les juges qui ont relevé
"quatre passages dans lesquels Mme X est décrite comme une ancienne
prostituée (...) un passé créé de toutes pièces".
Pour les juges, "au lieu de faire preuve de la plus
élémentaire prudence dans le respect des personnes réelles transformées en
personnages de roman, l'auteur, qui a multiplié à dessein les similitudes,
aurait été bien inspiré d'éviter d'ajouter sous forme d'allusions malveillantes
un passé chargé à Mme Brendaouez tant le risque d'identification à Mme X est
évident pour le lecteur informé de l'affaire".
"Je n'ai fait que m'inspirer de faits connus et notoirement
traités par les médias. Je suis allé dans les bistrots. J'ai écouté. Je me suis
imprégné comme une éponge s'imbibe d'eau", se défend M. Failler, ajoutant
qu'Elisabeth X "n'est pas la dame du roman". Pour défendre
l'auteur, voici quelques indications fournies par
Jean-Marie DAVID, un fan de la
série :
De Dashiell Hammet à Didier Daeninckx et Thierry Jonquet,
les auteurs de romans policiers se saisissent du fait divers pour révéler
l’envers du décor social, politique, idéologique, cherchant, derrière l’énigme
apparente, à résoudre une autre énigme plus importante : de quoi le crime est-il
le symptôme ?
Dans son dernier roman, Jean
Failler s’inspire justement de faits réels pour bâtir son intrigue. Son histoire
est celle du petit port de pêche de Kerlouan, dans le Nord-Finistère, où un
curieux et insaisissable malfaiteur – que la population surnomme « Le Renard » –
commet des actes de vandalisme depuis une vingtaine d’années, aux yeux et à la
barbe de tout le monde. À la lecture du livre, une habitante de la commune –
Elizabeth X – a cru se reconnaître ainsi que son mari. Son mari qui fut
suspecté par une rumeur (rumeur propagée par son épouse !) d’être « Le Renard ».
Le couple apparaît dans le roman sous le pseudonyme de Brendaouez et sont
traités de manière favorable puisqu’ils sortent blanchis des accusations lancées
contre eux par la rumeur grâce à l’enquête de Mary Lester.
Alors où est le problème ?
Si l’habitante de la commune tient à se reconnaître dans le personnage de Gabrielle Brendaouez – auquel Jean
Failler a imaginé un passé de prostituée, c’est justement à cause de ce passé
qui n’est pas le sien ! Estimant que ces « allégations mensongères portent
atteinte à son image, sa personnalité et à l’intimité de sa vie privée », elle a
aussitôt demandé la saisie du polar.
Jean Failler oppose au droit de
la vie privée celui de la liberté d’expression, fondement de la production
artistique. Si l’ouvrage s’inspire d’éléments médiatisés dans la région de
Kerlouan, le passé d’ancienne prostituée n’est prêtée à Gabrielle Brendaouez que
pour faire pendant à la rumeur de culpabilité dont est victime Fanch Brendaouez.
Ce passé est rappelé par des personnages eux-mêmes fictifs. Il s’agit d’un trait
caricatural propre au roman policier qui déconnecte l’œuvre de la réalité.
En fait, il était impossible au lecteur d’assimiler
spontanément la protagoniste du roman à Elizabeth X. Un tel rapprochement
n’a été possible que par l’initiative de la plaignante qui a cru utile en
assignant l’écrivain, de rappeler au public l’histoire du Renard de Kerlouan et
son implication dans cette histoire.
Mme X se fait subir elle-même un dommage en livrant à
la curiosité des lecteurs son affaire, pas seulement dans sa commune mais sur
l’ensemble du territoire national à cause de l’intérêt manifesté des médias.
Elisabeth X que personne ne connaissait s'est fait de la contre-publicité.
Tout le monde peut l'identifier maintenant, suite au procès. Elle aurait été
plus avisée de ne pas faire parler d'elle et de ne pas rapprocher sa personne du
personnage en question.
Thierry Jonquet en s’inspirant d’une affaire criminelle
avait écrit son roman Moloch. Cela lui avait valu un procès, on lui
reprochait d’avoir porté atteinte à la mémoire d’une personne, figurant comme
personnage dans son roman. Roman qui relate l’histoire d’une mère souffrant du
syndrome de Münchausen par procuration, une pathologie psychiatrique conduisant
des parents à provoquer une maladie chez leur enfant afin de le maintenir sous
dépendance psychologique. Le TGI de Paris dans un jugement en date du 7 février
2000 et opposant Thierry Jonquet aux parents de Liliane Kazkaz estimait
incontestable le fait que Thierry Jonquet se soit inspiré de l’histoire de la
jeune Caroline Pierini et des comportements reprochés à sa mère. Les magistrats
ont estimés que l’écrivain s’est borné à tirer de l’affaire des éléments
caractéristiques du syndrome de Münchausen. Ils ont constatés l’ajout par
l’auteurs de certains détails. Dans le livre, la mère est prise en flagrant
délit d’empoisonnement et finit par se suicider. Dans la réalité, aucune preuve
matérielle n’a été réunie contre la mère qui n’a jamais avoué mais qui s’est
suicidée avant sa comparution devant les assises. Dans le roman, il est même
question d’inceste. Pour le tribunal, ces éléments « n’ont pas été choisis pour
porter atteinte à la présomption d’innocence de Mme Preud’homme ni persuader le
lecteur de la culpabilité de celle-ci, mais pour corser le récit »
Le TGI de Paris (7 février 2000, affaire opposant Thierry
Jonquet aux parents de Liliane Kazkaz), rappelle que « Les affaires pénales,
notamment criminelles, ont toujours constitué une source privilégiée
d’inspiration pour les auteurs de romans policiers, sans que les protagonistes
de ces faits divers puissent s’en plaindre, sauf à démontrer que l’écrivain a
manifesté, à leur égard, une volonté particulière de nuire ».
En l’espèce on voit mal comment il peut y avoir intention de nuire de la part de l’auteur Jean
Failler qui ne connaît pas la plaignante et qui en fait un personnage
secondaire.
Le TGI de Brest rappelle que
l’action de Mme X n’est pas intentée pour le rôle qui lui est prêtée un
temps dans le roman (c’est un personnage secondaire) mais pour ce passé de
prostituée. Le jugement met l’accent sur le fait qu’à la différence de l’énigme
principale, ce passé ne se voit pas être démenti de manière formelle, par
l’auteur dans le cadre de son ouvrage. Il précise : « Le choix d’évoquer un
passé de prostitution n’apparaît pas strictement nécessaire à la compréhension
du roman ». « Il n’est pas aisé pour le lecteur de connaître la frontière exacte
entre le réel et l’imaginaire, de telle sorte que l’allégation porte atteinte à
l’image de Mme X »
L’affaire est grave, il me
semble qu’un auteur est libre d’écrire comme il l’entend son livre, sans qu’il
lui soit dicté une ligne de conduite. C’est là une pure liberté d’expression
qu’il convient de respecter. Les artistes ont autant le droit de s’inspirer de
faits réels que de s’éloigner de la réalité des faits quand ils annoncent de but
en blanc écrire une fiction, non un documentaire ou une étude. Et que leur
démarche n’est absolument pas médisante.
Et Jean Failler avait pris cette
précaution de faire figurer au début de son livre l’habituelle mention : « Ce
livre est un roman… »
Les juges ont écartés cet
argument en prenant beaucoup à partie les lecteurs. On devrait connaître
parfaitement le fait divers qui a inspiré le roman de Jean Failler (pour ma part
je n'en avais jamais entendu parler), reconnaître aisément dans le personnage de
Mme Brendaouez, Elizabeth X (qui est effectivement mondialement connue !) ;
et ne pas pouvoir faire la différence entre ce qui est réel et imaginé.
L’intérêt du roman n’est absolument pas là ! Il me semble que les lecteurs de
Jean Failler – comme tout lecteur - ont leurs mots à dire.
Suite au premier jugement, Mme X
qui estimait que Jean Failler et son éditeur n'étaient pas suffisamment
condamnés, a fait appel. "Cette succession de procès a été fait dans la
précipitation la plus complète et ne nous a pas permis d'organiser notre
défense." précise Jean Failler. "Convoqué par huissier un
vendredi soir, j'étais sommé de me présenter au TGI de Brest le lundi matin à 9
h 30. Par ailleurs, je suis sûr que ces trop courts délais n'ont pas suffi aux
juges pour lire les deux ouvrages incriminés. Nous avons donc été condamnés sur
des fragments de dialogues sortis de leur contexte, présentés comme injurieux
par la partie adverse."
Elle a ordonné vendredi
12/12/2003 à l’éditeur de Jean Failler, de supprimer de l’ouvrage les passages
jugés attentatoires à la vie privée de la plaignante présentée dans le livre
comme une ex-prostituée.
L’écrivain Jean Failler a aussitôt annoncé sa décision d’arrêter la série : « C’est la fin ! C’est la
décision de justice qui me pousse à ces extrémités, la justice a organisé les
funérailles de Mary Lester ».
Il n’exclut cependant pas de
"reconsidérer" sa position s’il est réhabilité par la Cour de cassation devant
laquelle il a décidé de se pourvoir.
« Cette manière de censurer me
paraît tout à fait odieuse. Je ne vais pas écrire sous la menace d’un mythomane
qui croit déceler une ressemblance désobligeante. Cette censure omniprésente est
une menace pour la littérature. Si chaque fois que quelqu’un se reconnaît dans
un bouquin, l’auteur est condamné, on ne pourra plus rien écrire. Je ne pourrais
plus travailler sous une menace perpétuelle de cet ordre. Les Mary Lester,
c’était une belle aventure. Faudra peut être que cette aventure s’arrête ».
Non, nous voulons croire que
Mary Lester continuera à nous faire découvrir la Bretagne à travers des enquêtes
de choc, pour le plaisir de ses lecteurs.
Jean-Marie DAVID Conclusion de l'affaire
L'affaire s'est terminée en Janvier 2005 avec l'annonce du verdict par le tribunal de Brest : Jean Failler est condamné à verser 15.000 euros à la "victime" pour "diffâmation". L'avocat qui protégeait l'auteur n'en est pas revenu : il à plaidé des dizaines de procès de ce type, avec des dossiers bien plus graves que celui-ci sans que jamais l'auteur ne soit condamné.
C'est donc un procès de plus de gagné pour Madame X, car ils sont nombreux. Pour mémoire, elle avait, à l'époque du procès contre Jean Failler, quatre procès en cours : l'un contre le journal "Détective", un second contre une revue féminine, un troisième contre Jean Failler et un quatrième contre l'association des plaisanciers de Kerlouan...
Cette affaire se termine donc bien mal pour l'auteur que nous apprécions, mais nous espérons que cela n'entâchera pas la carrière de notre enquêtrice préférée et ne donnera pas trop de mauvaises idées aux personnes mal pensantes qui désireraient gagner de l'argent en suivant la même voie la personne dont on a parlé ici.
L'auteur a déjà reçu, moins de deux semaines après l'annonce du verdict de cette affaire, un courrier d'un dénommé Barbier qui disait pouvoir porter plainte parce que le personnage de "La variée était en noir" portait le même nom que lui.
Les auteurs ont donc bien des craintes et il faut espérer que tous les juges ne prendront pas pour exemple le procès de Jean Failler traité à Brest, car sinon, l'avenir de la littérature va être remis en cause. Retour à la page précédente
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