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Jean Failler
Temoignage du 19/12/03 - Affaire "Le renard des grêves"

PARCOURS

Comment s’est déroulé votre enfance ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

     J’ai eu une enfance très heureuse dans un famille modeste mais unie où tout le monde s’aimait. Mon père était sévère mais juste. Il nous a inculqué des principes moraux auxquels je n’ai jamais dérogé.
     Mes grands parents tant paternels que maternels nous aimaient beaucoup et se sont toujours occupés de nous avec attention et dévouement, mais sans jamais transiger sur ces mêmes principes qui pourraient se résumer en cette formule lapidaire : pauvres mais honnêtes.

Vos études ne vous passionnent pas. Aviez-vous une idée arrêtée de ce que vous vouliez faire plus tard ?

     J’aurais voulu être journaliste mais la vie en a décidé autrement. J’ai passé deux ans en Algérie dans les troupes de marine et j’en suis revenu – comme tant d’autres – fort traumatisé. Pour oublier tout ça je suis entré dans la vie active par la première sortie qui se présentait, j’ai travaillé dans l’entreprise de mon père que j’ai reprise ensuite.

En 1983, vous présentez votre première pièce de théâtre au concours national de l'Acte à Metz (le ruban bleu) qui sera primée et crée sur France Culture. Pourquoi avoir choisi le genre théâtral en 1er lieu pour exprimer votre passion ? Est-ce à ce moment-là que vous décidez de devenir un écrivain professionnel ?

      J’ai toujours été à l’aise dans les dialogues et, depuis Molière étudié à l’école, j’ai voué une véritable passion au théâtre. Je n’ai pas choisi de devenir écrivain professionnel. Jamais je n’aurais pensé pouvoir écrire un livre. C’était pour moi un rêve impossible. Et puis, la crise de la pêche m’ayant mis au chômage, j’ai saisi cette chance : pour la première fois, à cinquante ans passés, j’avais du temps pour me consacrer à ma passion. J’ai commencé par « L’Ombre du Vétéran », un roman historique.

Dans quelles circonstances paraît ce premier roman pour vous, qui recevra le prix des écrivains bretons en 1993 ?

     L’histoire de ce vaisseau de Napoléon premier bloqué par les Anglais à Concarneau avait excité mon imagination. Parmi les livres que j’avais adoré dans ma jeunesse, il y avait « L’ancre de Miséricorde », de Pierre Mac Orlan. Une aventure de mer qui se passait à Brest. J’ai probablement voulu m’essayer à faire du Mac Orlan.

Peu de temps après, vous diversifiez votre production en créant aux éditions Alain Bargain votre série Les Enquêtes de Mary Lester.Pouvez-vous vous nous parler de la genèse de votre héroïne ? Son succès a été immédiat et croissant ?

     À l’origine de Mary Lester, un homme : Jean-Christophe Quef, animateur de théâtre à la ville de Quimper. Jean-Christophe avait travaillé avec Jean Vilard et c’était vraiment un homme de théâtre : comédien, metteur en scène, direction d’acteurs, sa palette était complète. Nous avions sympathisé (nous avions exactement le même âge). La ville de Lanester lui ayant demandé – en 1987 – de monter une pièce de théâtre inspirée d’un roman policier, il me demanda d’intervenir car les décideurs n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le roman qu’il convenait d’adapter. Je proposai d’écrire une intrigue se passant à Lanester et cette idée rallia tous les suffrages.
     Mais lorsqu’il s’agit de monter la pièce, Jean-Christophe me fit part de son embarras : il n’avait pas de jeune homme disponible pour tenir le rôle du policier stagiaire que j’avais imaginé. En revanche, il disposait d’une jeune femme prête à tenter l’aventure. Elle s’appelait Mary et nous lui gardâmes son nom. Plus tard, lorsque le bouquin fut édité Mary Le Ster (ce qui signifie la rivière en breton) vit son nom anglicisé. L’imprimeur avait fait une coquille, transformant Le Ster en Lester.
     Le succès ne fut pas foudroyant. Les deux mille exemplaires du premier tirages mirent plus de deux ans à s’écouler. Mais entre temps j’avais produit un second titre, puis un troisième. Le quatrième, « Marée blanche » fut distingués par les écrivains bretons. Dès lors le tirage commença à monter et les lecteurs, fidélisés, réclamèrent de nouveaux numéros.
     Les deux derniers de la série ont été tirés à 30.000 exemplaires.

En 1998, vous quittez les éditions Bargain et fonder votre maison d’édition : les éditions du Palémon. Qu’est-ce qui vous a décidé à tenter l’aventure seul ?

     Un différent financier avec mon ex éditeur me poussa à voler de mes propres ailes.

Comment voyiez-vous votre avenir avant que ne survienne l’affaire judiciaire qui vous touche. Et après ?

     C’est très aimable à vous de parler d’avenir, mais dans deux mois j’aurai soixante quatre ans. L’écriture est certes une passion, mais s’il faut la payer du risque d’être convoqué au tribunal comme un malfaiteur, je ne marche pas. Si cette affaire tournait définitivement mal, je reviendrai à l’écriture théâtrale et aussi aux livres pour enfants qui sont pour moi un bain de Jouvence.

LE GENRE POLICIER

Pourquoi avoir choisi de vous illustrer dans le genre policier ? Est-ce en raison de certaines influences littéraires ? Peut-on connaître vos écrivains préférés ? Ceux que vous aimez et ceux dans le prolongement desquels vous aimeriez vous situer ?

     Le genre policier, ce mauvais genre diront les amateurs de « vraie » littérature, est probablement le genre le plus apprécié par le public populaire.
     J’aime beaucoup les écrivains Anglo-Saxons et si, actuellement je ne devais nommer un auteur français, je citerai sans hésiter Pierre Magnan que j’admire depuis son premier bouquin et qui montre que genre policier et style magnifique peuvent faire bon ménage.

Suivez-vous l’actualité littéraire et y a-t-il des nouveaux auteurs que vous avez découvert avec intérêt ?

     Chez les auteurs de policiers français je citerai Fred Vargas, Jean-Michel Blanc et Colin Thibert.

THÈMES

Quels sont vos thèmes de prédilection en littérature ?

     Plus que le thème, c’est le style qui m’accroche. Quand je vais dans une librairie, il ne me faut pas lire plus qu’une demi-page pour savoir si un auteur va me plaire ou non. Et, si je ne craignais pas la rude concurrence d’Alexandre Dumas premier, que j’aimerais écrire un roman de cape et d’épée !

La plupart des écrivains choisissent une région, voire une ville, comme cadre privilégié. Votre région à vous, c’est la Bretagne. Quelle en est la raison, quelles sont vos véritables motivations ?

     J’ai choisi la Bretagne car c’est la région que je connais et que j’aime le mieux. Je suis un sédentaire. La seule idée de voyager me donne l’urticaire. Une gare m’angoisse et je ne parle pas des aéroports car je n’ai jamais pris l’avion. Les rares fois où je me suis un peu éloigné de mes bases, je me suis dit au bout de vingt-quatre heures : « mais qu’est-ce que je suis venu faire ici ? J’étais si bien chez moi ! » La Bretagne suffit grandement à mon bonheur.

INSPIRATION / DOCUMENTATION / « L’AFFAIRE »

Les gens qui vous parlent vous fournissent-ils de la documentation ? Êtes-vous réceptif à tout ce qu’on vous raconte ?

     Simenon prétendait être une éponge qui s’imbibe et qu’il suffit de presser pour qu’elle rende ce qu’elle a absorbé. Je trouve l’image assez juste et je la reprendrai volontiers à mon compte. Par ailleurs, nombreux sont les lecteurs qui m’écrivent ou me téléphonent pour me livrer des histoires souvent extraordinaires.
     Pour ne prendre qu’un exemple, l’histoire du « renard » m’a été livrée pour la première fois par un missionnaire qui vit en Haïti depuis 40 ans, mais qui est originaire de Kerlouan où il a ciré les bancs de l’école primaire en compagnie du présumé « renard ». Je suis donc passé par Haïti (par internet interposé) avant d’aller à Kerlouan.

Vous arrive-t-il d’être totalement à court d’inspiration ?

     Jusqu’à présent ça ne m’est jamais arrivé. Lorsque je me mets devant mon clavier, les choses viennent toutes seules. Un mot en entraîne un autre, d’une situation découle la suivante. Cependant, rien ne vous est donné. Il faut travailler.

Recherchez-vous vos intrigues parmi les faits divers ? Est-ce la première fois avec « Le Renard des Grèves » ?

     Bien sûr, comme tous les auteurs de romans policiers, la chronique des faits divers des journaux nous pourvoit en abondance en thèmes à exploiter. Parfois j’invente toute l’histoire, mais une fois sur deux la lecture des journaux est ma source d’inspiration.

Que vous reproche-t-on au juste dans votre livre ?

     Mme Salou qui se reconnaît en Mme Brendaouez (première erreur), me reproche de lui avoir créé un passé de prostituée. Elle m’a certainement mal lu. C’est un ivrogne qui, dans un bistrot traite Mme Brendaouez (en qui Mme Salou , je le redis, se redonnait abusivement) de « pute ». Immédiatement Mary Lester le reprend et défend Mme Brendaouez victime d’une rumeur.
     Il y a cinq passages ainsi incriminés, et chaque fois, Mary Lester prend la défense de la femme du goémonier pour qui elle s’est prise d’amitié.
     D’ailleurs, dans cet ouvrage, Gabrielle Brendaouez et son mari sont présentés comme des originaux plutôt sympathiques en butte à la vindicte de toute une population. (Ce qui est conforme à la réalité).
     Mary Lester prend toujours leur défense.

Le TGI de Paris dans un jugement en date du 7 février 2000 et opposant Thierry Jonquet aux parents de Liliane Kazkaz, rappelle que « Les affaires pénales, notamment criminelles, ont toujours constitué une source privilégiée d’inspiration pour les auteurs de romans policiers, sans que les protagonistes de ces faits divers puissent s’en plaindre, sauf à démontrer que l’écrivain a manifesté, à leur égard, une volonté particulière de nuire » On voit mal quelle est votre intention de nuire vu que vous ne connaissez pas la plaignante et que votre personnage dans lequel elle croît se reconnaître (et qui est un personnage secondaire) est un personnage issu de votre imagination…

     Bien évidemment, Mme Brendaouez est issue de mon imagination. Mme Salou prétend être cette personne au motif qu’elle aussi est blonde et qu’elle est beaucoup plus jeune que son mari.
     Si toutes les femmes blondes qui sont plus jeunes que leur mari me poursuivaient en justice, la cour serait pleine !
     En revanche, elle oublie tous les détails qui s’écartent de son modèle : le couple de goémoniers vit dans une chaumine sans confort, comme les goémoniers du siècle dernier. Dans la réalité les Salou vivent dans une confortable maison contemporaine. Mme Brendaouez est présentée comme la veuve d’un officier de marine, ce que n’est pas non plus Mme Salou.
     Volontairement, je n’ai rencontré aucun des protagonistes de cette histoire. Je n’ai jamais vu Mme Salou qu’à la télévision (où elle adore se montrer). Pareil pour son mari. Pareil pour Gildas Larsonneur, un autre protagoniste de l’histoire, pareil pour les gendarmes, pour les membres de l’association des plaisanciers, de l’équipage de la station de sauvetage. Je n’ai fréquenté que les lieux publics, (bistrots) en tendant l’oreille, et je me suis imprégné, comme je le disais plus haut, de l’esprit des lieux.
     Elle me reproche d’avoir rapporté des faits qui la touchent de près (Le jet d’un pot de peinture noire sur sa robe blanche le jour de son mariage. Mary Lester s’en indigne, d’ailleurs). Mais ce sont des faits qui sont publics. Ils ont été publiés à maintes reprises dans plusieurs journaux et revues.

Comment expliquez-vous cette levée de boucliers actuelle contre les romanciers qui s’inspirent de la réalité pour écrire leurs livres ? Un signe parmi d’autres de l’américanisation progressive de notre société ?

     Je pense que c’est une manière pour certains d’essayer de se procurer de l’argent sans trop se fatiguer. En plus, ça satisfait leur goût de la chicane et ça fait parler d’eux. Voilà au moins trois motivations.
     Suite au premier jugement, ce n'est pas moi qui ait fait appel, mais Mme Salou qui estimait que nous étions insuffisamment condamnés. Cette succession de procès a été fait dans la précipitation la plus complète et ne nous a pas permis d'organiser notre défense. (Convoqué par huissier un vendredi soir, j'étais sommé de me présenter au TGI de Brest le lundi matin à 9 h 30). Par ailleurs, je suis sûr que ces trop courts délais n'ont pas suffi aux juges pour lire les deux ouvrages incriminés. Nous avons donc été condamnés sur des fragments de dialogues sortis de leur contexte, présentés comme injurieux par la partie adverse.
     Enfin, toutes ces procédures sont extrêmement onéreuses. Pour mon recours en cassation, je ne vais pas pouvoir assumer seul le coût d'un tel procès. En effet, je me bats pour qu’un jugement tel que celui de Rennes ne fasse pas jurisprudence. Sinon, c'en est fait de la liberté de créer un univers romanesque. L'écrivain risquera toujours de se voir traîner au tribunal par un mythomane ayant la fibre chicanière. Je rappelle pour mémoire que Mme Salou a en cours quatre procès : l’un contre le journal "Détective", un second contre une revue féminine, un troisième contre moi et un quatrième contre l’association des plaisanciers de Kerlouan. Pour ce qui me concerne, je ne me vois pas écrire en ayant cette épée de Damoclès sur la tête.

ÉCRITURE

Quels regards portez-vous sur votre style d’écriture ?

     Je suis assez mal placé pour parler de mon style. Mes lecteurs me reconnaissent un bon vocabulaire, et une manière simple et incisive de conter. J’essaye de n’être jamais vulgaire, de ne pas me complaire dans des scènes de violence ou de sexe et d’écrire en bon français.

Quelles parts accordez-vous au mûrissement et à l’improvisation ?

     J’écris mes bouquins chapitre par chapitre, sans jamais faire de plan, en me laissant guider par mes personnages. Puis, lorsque j’ai fini ce premier jet, je laisse reposer l’ouvrage pour le retravailler ensuite. Je reviens sur certains passages deux fois dix fois, vingt fois, jusqu’à ce qu’ils me paraissent satisfaisants.

Vous imposez-vous des contraintes d’écritures ?

     Pour moi, contrainte et écriture sont deux mots qui ne vont pas ensemble. L’écriture c’est avant tout du plaisir. Lorsque ce sera une contrainte, je ferai autre chose. J’écris selon ma fantaisie, tard dans la nuit, tôt le matin, toute la journée s’il pleut et je peux rester plusieurs jours sans toucher à mon manuscrit si le temps est beau, si la pêche donne, s’il y a une grande marée ou une partie de voile à faire avec les copains. Souvenez-vous que je suis à moitié Douanrneniste et que ça rime avec fantaisiste.

Comment procédez-vous pour écrire ? Avez-vous un lieu, une heure privilégiée dans la journée ? Quel support utilisez-vous ? Raturez-vous beaucoup ? Réécrivez-vous vos scènes ?

     Je crois avoir répondu plus haut à une partie de cette question. Mais j’ai un lieu, oui. Un petit espace avec ma documentation, mes dictionnaires et un divan pour m’allonger lorsque j’ai un petit coup de barre.

En dehors des moments où vous écrivez, à quoi pensez-vous ? Êtes-vous en manque ? Quelle importance attachez-vous à l’écriture ?Quelles sont vos passions ?

     Mes passions sont multiples, la première étant la lecture, la seconde l’écriture. Ajoutez à ça tous les sports de plein air, la natation, la pêche en mer, le chant choral en polyphonie et la culture de l’amitié et des pommes de terre (fumées au goémons, cuites à l’eau de mer elles ont un goût inégalable).

SITUATION ET LECTORAT

Pensez-vous a priori être un auteur populaire, grand public, ou plutôt réservé aux initiés ? Avez-vous des contacts avec vos lecteurs ? Qui sont-ils ?

     Je pense être un auteur populaire grand public. Sur les salons, dans les signatures en librairies, je rencontre mes lecteurs et c’est toujours un grand moment de plaisir. Ils me reprochent essentiellement de ne pas écrire assez.
     Ils sont jeunes ou vieux. Des lecteurs de douze ans ont déjà lu l’intégrale et, sur un salon, un jour, un vieux monsieur me demande une dédicace. Je m’enquiers de son prénom, il me dit : « Ce n’est pas pour moi, c’est pour mon père ». Je le regarde stupéfait : « Mais quel âge a donc votre papa ? » Il me répond : « cent trois ans. Et il ne rate pas un Mary Lester ». De dix à cent ans, l’éventail est donc large.
     Et puis j’ai des courriers. Internet est un grand pourvoyeur de messages, mais je reçois aussi des lettres manuscrites. Aujourd’hui jeudi 19 janvier, un couple de lecteurs m’avise qu’ils vont baptiser leur fille qui va naître dans trois semaines Mary Lester. Je ne sais plus combien de chats ont été nommés Mizdu depuis que ce félin a fait son entrée dans la vie de Mary.
     Et puis il y a ceux qui viennent en pèlerinage venelle du pain cuit, là où j’ai situé le domicile de Mary Lester, ou qui vont visiter Saint-Malo ou Trévarez le livre à la main. Quand j’ai écrit « Mort d’une rombière », l’hôtelière de l’Île Tudy a vu la fréquentation de son hôtel croître de 75 %. Bien sûr, je me fais un devoir de répondre à tous. La journée du lundi y suffit à peine.

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